Qu’est-ce-que Bonno 煩惱 ou L’illusion dans l’enseignement de Taisen Deshimaru ?
« On doit manger le kyosaku nous-même« , disait Obaku (9ème siècle). L’illusion et l’éveil sont des mots importants dans l’enseignement du bouddhisme. Rendus très populaires par les média occidentaux, leurs vraies significations restent cependant inaccessibles à l’exploration de l’intellect, uniquement. C’est une rencontre directe sujet-sujet, une expérience subjective et non objective sujet-objet.
Pour parler de l’Illusion, Maître Deshimaru choisit le terme de Bonno 煩惱– vs. Mayoi 迷い vs. Mazo 望 想
Le Bonno, l’illusion est la source de l’éveil (Bonno soku Bodai) Si l’illusion n’existe pas, le Satori non plus. C’est l’un des enseignements clés du zen de Deshimaru.
Qu’est-ce-que la Vraie Souffrance – le vrai Bonno ? Sinon celle de perdre la Voie et le Dharma. Sans la Voie, l’homme continue indéfiniment dans le cycle perpétuel de la vie et de la mort – des Nidanas. L’homme souffre dans sa vie et la racine de toutes souffrances est l’illusion. Comment trancher à la racine si l’homme continue de percevoir que ce corps est réellement le moi-existant, le vrai ego ?
Dans le vocabulaire du Han, ou Kanji, plusieurs mots peuvent être utilisés pour désigner l’éveil ou l’illusion. Le choix dépend, comme il est d’usage dans le chinois de l’époque (Kanbun), du style littéraire ou oral et du contexte général de l’écrit, du discours.
MAYOI (chinois, zh. 迷い ) (vn. mê) – Aveuglements et Extase :
Aveuglé, Passionné, Être en extase. Exalté, Dans le rêve, Incapable de discernement. Désigne quelqu’un qui a des yeux obstrués, aveuglés par désirs et passions. Mayoi a été longuement commenté par Eihei Dogen dans le Genjo Koan, chapitre majeur du Shobogenzo, maître Deshimaru l’a repris à son tour dans le livre « Genjo Koan », collection « Grands Classiques », éditions de l’AZI.
MAKU MOZO (ch. 幕望 想) (vn. Chớ Vọng tưởng), Leurre de l’esprit. Ne partez pas dans l’illusion :
Vue de rêves. Pensées Lointaines – Pensées, ou pensées avec un objet lointain, un objet de désir, d’attente. Désigne quelqu’un qui attend la réalisation d’un but. Littéralement Maku Mozo signifie « Ne pas s’illusionner », le visuel étymologique du kanji MO 望 montre que « la lune » , l’éveil dans le bouddhisme, son espoir, désir, expectation dans le langage commun a été enfermé dans un coffre – dans sa tête. Dans un dojo zen, le mot Maku Mozo est fréquemment calligraphié sur le Kyosaku.
BONNO (chinois, zh. 煩惱), (vn. phiỀn nÃo) , Illusion et Souffrance.
Littéralement Peine-Cerveau, tristesses, cerveau en souffrance. Étymologiquement (visuellement), le kanji montre un cerveau brûlé par le feu (racine-clé) – une tête en feu. Habituellement, on traduit le terme Bonno par Souffrance mais quelle est la racine de la souffrance de l’esprit ? Dans le langage commun, ou utilise le mot « bonno » pour désigner une peine – plutôt psychologique.
Dans le bouddhisme,le mot « souffrance » est employé pour parler des quatre grandes souffrances citées par Bouddha: vie, maladie, vieillesse et mort, traduire le mot « bonno » par « souffrance » pourrait prêter à confusion, le traduire par « peine » l’éloignerait de l’enseignement.
Maître Deshimaru dit : « On ne peut pas calmer le feu – de la tête – avec le feu, il faut utiliser le corps ! … Il enseigna également « Bonno soku Bodai », litt. immédiatement, l’illusion est le Satori ! – l’illusion devient immédiatement le Satori.
Taisen Deshimaru, Genjo Koan, Ed. de l’AZI
Note : Quand on liste l’ensemble des termes du vocabulaire chinois, on comprend instantanément le choix de traduction du mot « bonno » de maître Deshimaru, à savoir « illusion ».
SATORI (chinois, zh.) 覺悟 (vn. giác ngộ) et l’éveil immédiat.
Littéralement Eveil-Connaissance directe, antérieure – à la conscience. Expérience directe. Ce vocabulaire date de l’époque Tang, 8ème siècle, qui est né de l’expérience directe d’Eno, 6ème patriarche du zen de l’école du Sud. En français, fréquemment et à tort, seule la forme contractée « éveil » est utilisée, ce qui prête à beaucoup de compréhensions et interprétations diverses. Originellement le kanji 悟 (kō en japonais ou Eurêka en grec) est l’expression contractée représentative de l’expression 覺悟, éveil-connaissance directe.
A noter le caractère direct, automatique – sans recherches et réflexions au préalable -, c’est l’expérience spirituelle, la rencontre spirituelle directe ». Le sujet est dans le sujet (expérience spirituelle), versus une méditation sujet-objet (connaissance intellectuelle).
Le terme « reconnaissance directe » est la marque du zen qui renvoie à une « connaissance antérieure » à ce qui précède la pensée, la connaissance intellectuelle et de la raison, tel celle qui est évoquée par ce koan (interrogation de l’esprit) : Quel est votre visage avant la naissance de vos parents ? On emploie également volontiers l’expression « avant la pensée ». « Avant le koan » désigne l’attitude à adopter dans le zen Rinzaï, quand un « koan » – une question publique – est posé.
Note : Actuellement, la connaissance avant la pensée est un des domaines d’étude des neurosciences.
KENSHO (chinois ou zh. 見性) (vn. Kiến tính), Voir directement sa propre nature, sa nature originelle.
Littéralement Observation-Directe, Vue -Directe de Sa Nature – propre nature. Ce terme, plus exact, a été créé, par le bouddhisme Mahayana auquel appartient le Zen, il désigne la rencontre spirituelle directe, immédiate. Ce vocabulaire date de Nagarjuna, et précise mieux l’expérience de l’éveil, Satori étant un terme du langage « indien », plus populaire, enraciné dans le bouddhisme primitif « Theravada ».
Dans l’enseignement de Bouddha, les illusions sont les aveuglements de l’esprit originel, authentique. La vue juste et exacte est le médicament fondamental qui aide simplement à « ouvrir les yeux » et s’éveiller des cinq agrégats illusoires. La poussière de ses yeux – idées, préjugés, ego – étant enlevée, on peut être enfin en contact direct avec l’esprit originel, sans décoration ou automatiquement, naturellement, inconsciemment (expression de maître Deshimaru).
Le Bouddha dit « Ô moines, la noble vérité sur la souffrance est ainsi : la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance. Le Bouddha continue « Être entouré de ce que l’on n’aime pas est souffrance, Être séparé de ce que l’on aime est souffrance, Ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance. En résumé, les cinq agrégats d’attachement sont souffrance.
W. Rahula, Samyutta Nikâya
Le mot BONNO ou l’Illusion dans l’enseignement de Taisen Deshimaru
© copyright Reijo YB, Tous droits réservés
Deshimaru – Qu’est-ce-que le Satori, Ouvrir les yeux ou L’éveil dans le zen ?
Satori, c’est la pratique et la certification de l’ego en faisant progresser Manpo, toutes les existences, tous les phénomènes. Dogen a écrit que mayoi, c’est pratiquer et certifier en transportant l’ego, le moi, c.à.d consciemment, par notre volonté, avec l’effort. Pourquoi est-ce mayoi ? Je dis toujours: naturellement, inconsciemment, automatiquement. Au début, si on ne fait pas d’effort pour faire zazen, ce n’est pas possible. Si on n’emmène pas d’ego au dojo, il n’est pas possible de faire zazen.
Mayoi, la recherche de la Voie à l’extérieur de l’esprit – On doit manger le kysosaku (bâton d’éveil) nous-mêmes
Au début, on cherche la Voie à l’extérieur de l’esprit. C’est Mayoi. Et finalement, on comprend que la Voie véritable existe à l’intérieur de notre esprit. Il n’est pas nécessaire de transporter notre ego.
Taisen Deshimaru, Genjo Koan, Enseignement Oral dans le dojo, Ed. AZI.